Martine Catel, jardinière du bonheur

C'est l'histoire d'un millionnaire, trader à la Bourse de Paris, qui s'achète un magnifique domaine avec vue sur la Rade. L'homme, un brin bio-écolo à ses heures perdues, convoque les meilleurs pépiniéristes de l'endroit et leur ordonne, à tout prix, la construction d'un potager idéal. Six mois plus tard, l'immense potager de ce petit Louis XIV "donne" avec ordre et méthode légumes et fruits sans grands goûts mais aux mines parfaites. Au grand plaisir de l'homme qui se vante aussitôt de posséder le plus beau potager de Bretagne Sud dans lequel bêchent et binent à longueur de jour d'onéreux spécialistes.

Patatras total, quelques jours plus tard, pour l'homme aux grands défis. En se promènant, curieux, autour des ruines du Château de Soye, à la frontière de Ploemeur et de de Lorient, il apercoit un potager aussi grand que le sien (4.700 m2) et plus beau que le sien puisque l'équilibre des rangs a été dicté par les besoins d'espace de chaque plant plus que par esthétisme. 
L'homme s'approche d'un des 27 jardiniers de ce potager et demande à rencontrer le propriétaire. "Ca sera dur, lui répond t-on. Il n'y a pas de patron, içi. Nous travaillons pour le plaisir. C'est une association". Et d'aprendre, en plus, qu'on y cultive plus de 200 variétés de légumes et fruits. Pire encore, "nos légumes ont un vrai goût, une âme, un esprit. Des pros ont retrouvé pour nous des graines de jadis, ce qui nous a permis de retrouver des saveurs d'autrefois. Notre potager est un conservatoire aussi. Mais on ne vend pas nos productions. On se débrouille entre amis". Rageur, le riche doryphore quitta l'endroit le visage plus blanc encore que les carottes de jadis. L'histoire ne dit pas ce qu'est devenu son fabuleux potager quasi-américain. Le potager de l'association "Mémoire de Soye", lui, existe toujours. Pour le visiter, il suffit d'y aller. Pas de droit d'entrée. N'hésitez surtout pas à y pénétrer et à poser des questions aux jardiniers penchés sur leurs trésors. A trois pas de là, dans deux baraques de l'après guerre, (il y en eu jusqu'à 242, içi, en 1949), les responsables de l'association "Mémoire de Soye" vous parleront avec plaisir de leur bébé. Le président de l'association s'appelle Mickaël Sendra. Martine Câtel s'occupe plus particulièrement du potager. Elle donne aussi des cours et des conférences à l'Université du Temps Libre de Lorient sur l'Histoire des jardins. 
"L'histoire des potagers m'a toujours passionnée, dit-elle. L'un de nos membres, Alain, nous a même retrouvé des graines du fameux chou de Lorient qui avait disparu entre les deux guerres. Nous avons relancé cette race et plusieurs producteurs de la Rade ont pris le relai. Ce chou revit et comme il plus de goût que les autres, on commence à en servir dans les restaurants de Lorient. Ce chou est sauvé !".
"Nous travaillons aussi sur l'oignon d'Erdeven, sur une ancienne pomme de terre, la "Rouge de Caudan" ou sur le pommier de Lorient, par exemple. Nous nous intéressons aussi aux herbes arômatiques et aux simples qui soignent La rgubarbe, par exemple, celle que la Compagnie des Indes faisait venir de Chine à grand frais parce qu'à la différence de celle qui poussait chez nous à cette époque, la variété chinoise était officinale. Mais les plans chinois ne s'acclimataient mal chez nous. Nous voudrions savoir pourquoi".
"Et surtout, nous avons réussi à maintenir dans notre potager une biodiversité la plus vaste possible, ce qui favorise des échanges et des équilibres qui nous dispensent d'engrais et de tout le reste. On se contente d'un minimum d'eau. Les bêtes et les plantes se débrouillent entre elles pour faire le reste".
"Du coup, conclu modestement Martine Câtel, nous obtenons des produits qui ont un goût différent, amusant et vrai. Grâce au terroir, aussi. La terre du potager, très argileuse, garde bien l'humidité. Comme il gèle très peu avec notre climat marin, nous avons des variétés très tardives avec des saveurs étonnantes. Sans oublier, bien sûr, les vents de tempête, chargés d'embruns, qui viennent régulièrement saler nos terres, donnant ce petit goût rigolo de noisette à beaucoup de nos légumes. Et c'est gratuit, par içi, le vent des tempêtes !". N'en déplaise à notre millionnaire parisien, c'est formidable ce que peuvent faire ensemble zéro centime et une association.

Association "Mémoire de Soye". Château de Soye. Ploemeur. Tel: 02 97 83 53 87. "jardinsdesoye.fr"